Environnement | Innovation | Politique | Social | Technologie

« De la ferme à la table » - En mémoire de Charles Duchemin alias Louis de Funès

  • Publié le 17.05.2021

En 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie "De la ferme à la table", l'une des initiatives clés du « pacte vert pour l'Europe ». Au moyen de cette stratégie qui se décline en 27 actions à réaliser jusqu’à fin 2023, l'UE a pour but de transformer la manière dont les aliments sont produits et consommés en Europe, afin de réduire l'empreinte environnementale des systèmes alimentaires et de renforcer leur résilience face aux crises, tout en veillant à ce que des aliments sains et abordables soient proposés à la population aujourd'hui et disponibles pour les générations futures.


Si les grandes lignes de la stratégie, dont notamment la lutte contre le changement climatique et la volonté d’améliorer l’accès de la population à une alimentation équilibrée, sont parfaitement recommandables, certaines mesures méritent cependant d’être critiquées, car elles pourraient à la fois induire en erreur le consommateur et porter fortement préjudice aux PME artisanales.

Un étiquetage nutritionnel obligatoire sur la face avant des emballages

La Commission souhaite donner aux consommateurs les moyens de faire des choix alimentaires éclairés et sains, en proposant un étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé sur la face avant des emballages. Actuellement, il existe plusieurs systèmes d’étiquetage nutritionnel, dont notamment le « Nutriscore » qui vient d’être adopté au Luxembourg, toutefois sur base facultative pour les opérateurs alimentaires.

Cependant, en parcourant les rayons des chaînes de supermarchés, l’absurdité du système Nutriscore fait nettement surface et les nouvelles stratégies des grands groupes agroalimentaires se dévoilent : le souhait de profiter au maximum du nouvel outil « institutionnalisé » et d’augmenter le chiffre d’affaires.

Ainsi, les fruits et légumes sont maintenant généreusement emballés en plastique pour pouvoir y apposer le score « A » dudit logo et rappeler au consommateur que ces types de denrée alimentaire sont bons pour la santé. Quelle surprise ! Est-ce que la population n’est-elle pas assez émancipée pour le reconnaître soi-même ? Ou est-ce même un aveu que la qualité de notre système d’éducation s’est dégradée d’une telle manière à devoir rappeler ce qui va de soi ?

Qui plus est, des mauvaises langues pourraient attribuer à la politique des notions d’hypocrisie, car même si elle continue à stigmatiser les ressources fossiles et le plastique, elle accepte dans ce contexte une augmentation considérable en emballages superflus. Bien que le projet de loi relative aux emballages et déchets d’emballages actuellement en procédure législative vise à imposer au Luxembourg une interdiction d’un conditionnement en plastique des fruits et légumes pour les quantités inférieures à 1,5 kg, le problème ne sera pas résolu. Les acteurs du marché procéderont néanmoins à un conditionnement des produits à petite quantité, notamment avec des emballages en carton jetables, et de surcroît, une telle interdiction pourrait amener les commerçants à proposer plus de choix en lots de 1.5 kg, menant à un risque de surconsommation et de gaspillage alimentaire.

L’avidité pour le profit conduit les grandes entreprises multinationales agroalimentaires déjà maintenant à modifier leurs recettes et à adapter leurs produits à la cible « verte » en rajoutant des tas d’additifs créés dans des laboratoires chimiques pour in fine tromper le consommateur. Pour récompense, le système octroie aux limonades « light » ou « zéro » une meilleure classification qu’un jus de pomme bio sans sucre ajouté et les salamis « light » modifiés chimiquement l’emportent sur les salamis naturels sans additifs. Est-ce vraiment le but recherché : diriger le consommateur vers la nourriture industrielle ? Cela me rappelle un film classique du cinéma français : « L’aile ou la cuisse » avec Louis de Funès, dans lequel il joue le caractère de Charles Duchemin, un redoutable critique gastronomique, qui se bat avec tous les moyens disponibles contre la malbouffe de la nourriture industrielle…

Instauration de profils nutritionnels

Une mesures supplémentaire prévue par la Commission est la mise en place de profils nutritionnels pour limiter la promotion de denrées alimentaires riches en sel, en sucres et/ou en matières grasses. De tels profils classifient les produits selon leur composition en certains nutritifs, sans pour autant considérer la quantité totale consommée d’une denrée. Les denrées alimentaires sont ainsi calibrées en « bonnes » ou « mauvaises » d’une manière très simple de façon à égarer les consommateurs en leur faisant croire que l’évitement de certains groupes de nourriture pourrait leur être bénéfique.

Une alimentation saine et équilibrée dépend en revanche de la bonne combinaison des différents types d’aliments tout en considérant leurs quantités, la fréquence de repas et l’activité physique d’une personne.  En tant que tel, la mise en place de profils nutritionnels amènera de nouveau les acteurs de l’industrie alimentaire à procéder à des reformulations douteuses de leurs recettes. En même temps, beaucoup d’entreprises artisanales subiront des conséquences négatives en termes de compétitivité, même en fabriquant majoritairement des produits artisanaux (fromage, viande, produits de la boulangerie) qui contiennent naturellement cette variété de nutritifs (sels, matières grasses, sucres).

Donc, étiquetage et profils nutritionnels obligatoires ou non, les entreprises artisanales qui souhaitent proposer leurs produits dans les grandes surfaces à côté des grandes marques de l’industrie agroalimentaire seront obligés à suivre le diktat industriel et adopter tous les systèmes qui leur seront imposés, sans pour autant attribuer une valeur ajoutée au consommateur.

Pistes alternatives

Il serait temps de revenir vers le bon sens et le Luxembourg ne devrait pas avoir de peur de s’opposer à des propositions réglementaires insensées.

Au lieu de se diriger vers des obligations européennes, il serait préférable d’approcher la problématique différemment : Afin de stimuler une alimentation équilibrée auprès de la population les démarches d’information et d’éducation devraient être intensifiées, notamment avec des programmes spécifiques dans les écoles, voire des séances pratiques au sein des établissements alimentaires en y incluant toute la filière de l’alimentation (production primaire et transformation).  

Une vraie alternative à l’étiquetage nutritionnel pourrait constituer la mise en place de l’agrément étatique (proposition de loi en procédure) pour les labels dans le secteur de l’alimentation en mettant l’accent sur des systèmes durables et régionaux, mais sous condition d’adopter la logique « filière », c’est-à-dire de faire participer toute la chaîne de valeur au système de certification, du paysan jusqu’au transformateur artisanal. Ainsi, le consommateur pourrait être fidélisé aux produits locaux de qualité et il serait permis à la filière agro-alimentaire locale de se distinguer des produits industriels des grands groupes multinationaux.