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La situation kafkaïenne des décharges au Luxembourg

  • Publié le 22.03.2021

Alors que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la transition énergétique, la modernisation de nos infrastructures ou la réalisation de logements abordables ont toutes été déclarées priorités politiques absolues par notre Gouvernement, la création de nouvelles décharges semble être négligée dans cette équation.


A quoi tient cette situation regrettable ? Quelles sont les conséquences entrepreneuriales, environnementales et sociétales découlant de la pénurie de décharges ? Et finalement quels sont les enjeux pour l’Artisanat et pour notre développement durable ?

Une analyse de la situation des décharges et une description des conséquences.

A l’heure actuelle le Luxembourg ne dispose plus que de 5 décharges proprement dites1, dont aucune n’accepte des terres (déblais) polluées. La répartition (localisation) géographique hétérogène des décharges oblige les camions à traverser tout le pays, afin de transporter des terres inertes et propres à leur destination finale. En moyenne un camion de terrassement doit parcourir une distance d’environ 70 km pour arriver finalement à une décharge.

Ainsi, la situation actuelle conduit à des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires d’environ 10.000 to par an. Des émissions foncièrement inutiles et évitables, correspondant au besoin de chauffage de 1.500 maisons unifamiliales, soit l’ordre de grandeur de la ville de Diekirch avec ses 6.700 habitants.

Les conséquences néfastes du manque de décharges ne s’arrêtent pas à une pollution superflue. Une estimation des déblais inertes générés par des projets d’investissements au sud du pays a montré que les seuls chantiers d’envergure créeront un « besoin en capacités de décharges » d’environ 1,705 mio m3. Il s’agit notamment de l’extension de l’autoroute A3, du nouvel hôpital à Esch/Alzette (dit Südspidol), du projet « Eurohub » ou du contournement de Bascharage. Il va sans dire que ces derniers sont destinés à créer des infrastructures modernes, visant à améliorer sur le moyen et le long terme, notre qualité de vie ainsi que d’accompagner le développement économique de notre pays.

Le Luxembourg se targue depuis des décennies d’une économie très dynamique qui génère, comparé aux autres pays développés, des salaires et retraites élevés, de même que des prestations sociales confortables. En conclusion inverse, il semble évident que cette croissance s’accompagne de besoins accrus en infrastructures telles que des écoles, des hôpitaux ou de nouveaux réseaux routiers et ferroviaires.

Si nous acceptons volontiers l’augmentation de notre niveau de vie, il en va tout autrement lorsqu’il est question d’ériger des immeubles ou de construire des routes. Outre l’effet « nimby » qui se cache de plus en plus souvent derrière des considérations « écologiques » – politiquement plus correctes que d’évoquer la perte de sa « vue imprenable » – l’évacuation des déchets inertes liés à ces chantiers pose problème. Déjà que le terme en soi induit en erreur du fait que les « déchets » dont question ici ne sont rien d’autre que de la terre qu’il faut excaver avant de pouvoir entamer les constructions proprement dites.

Idéalement le pays devrait disposer d’un réseau de décharges géographiquement réparties à travers le pays, de sorte à minimiser les trajets à parcourir par les camions. Les avantages attachés à un tel système sautant aux yeux : il réduit les émissions de gaz à effet de serre au minimum, augmente la productivité des entreprises et diminue par là même les coûts de production, notamment des logements.

Outre les problèmes cités ci-avant, la situation mène régulièrement à des embouteillages devant nos décharges. Les frais supplémentaires, corollaire des pertes de temps colossales, présentent un risque financier, non maîtrisable pour les entrepreneurs qui se trouvent en outre dans l’impossibilité de pouvoir calculer les rendements de leurs camions. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le problème des décharges ne se limite pas aux entrepreneurs mais impacte aussi le reste de la chaîne de valeur. Si le terrassement ne peut être réalisé dans les délais prévus, les corps de métiers subséquents sont également retardés dans la réalisation de leurs travaux et subissent, en conséquence, des pertes de chiffre d’affaires.

Que pouvons-nous faire pour améliorer notre situation ?

D’un côté, si la planification de nouveaux sites pourrait être accélérée, le millefeuille administratif qui en amont se greffe dessus ne contribue guère à faciliter les choses. D’un autre côté, on assiste au refus de certains propriétaires de céder leur terrain. S’y ajoutent les réticences des élus locaux face à la création de décharges sur le territoire de leur commune. Même si objectivement ils reconnaissent le besoin de ce genre d’infrastructures, ils plient devant la pression de leurs citoyens, s’opposant à ces « nuisances » qui risquent de les importuner et de porter préjudice à leur qualité de vie.

La Chambre des Métiers lance donc un appel au Gouvernement afin d’adopter une démarche plus proactive dans ce dossier et un appel à la solidarité aux responsables communaux, qui, s’ils veulent développer leur commune, devraient également accepter une part de responsabilité en matière de mise en décharge des terres excavées.

Enfin, si certains responsables politiques nationaux préconisent une nouvelle façon de construire, évitant la génération de déchets inertes, il faut garder en tête que la plupart du temps, les entreprises de construction ne font qu’exécuter les plans de construction élaborés par les maîtres d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Concernant cette recommandation, la politique se trompe donc manifestement de destinataire.

 

1 Il s’agit des décharges de Colmar-Berg, Hosingen, Nothum, Sanem (ou Gadderscheier) et Folschette. Les quatre autres (Altwies, Brouch, Bridel, Moersdorf) sont des carrières où «il faut se créer de l’espace pour décharger les déchets», ce qui empêche le retour à vide. Concernant trois autres sites sur geoportail.lu, ils sont soit fermés, comme à Mondercange, soit «trop petits». [Source : Paperjam Newsletter ; « Évacuer la terre: un casse-tête pour la construction », 15/02/2021 ; édition de 16.00 heures]