COVID-19 | Commentaire

L’Artisanat à l’épreuve du coronavirus

  • Publié le 06.10.2020

Dans le cadre actuel de la pandémie COVID-19, les incertitudes sont nombreuses. Allons-nous être confrontés à une nouvelle vague d’infections ? Pour quand peut-on s’attendre à un vaccin ou à un traitement médical ? Ces questions sans réponses font que les chefs d’entreprises ont du mal à se projeter dans l’avenir et à faire des prévisions.


Ces mêmes incertitudes amènent les agents économiques, parmi lesquels les consommateurs, à faire preuve de plus de prudence, ce qui engendre une réduction des dépenses et par ricochet une augmentation de l’épargne, attitude qui en définitive impacte négativement notre économie.

L’hypermédiatisation du nombre de cas positifs, des patients en réanimation, des morts, des études scientifiques et des consignes sanitaires pas toujours cohérentes, génère une sorte de climat anxiogène, ce qui n’est bon pour personne. Ne faudrait-il pas plutôt dépasser ce climat, comme nous le faisons tout naturellement pour d’autres maladies graves, en véhiculant des messages d’espoir et en œuvrant pour que les gens gardent le moral et apprennent à vivre dans la nouvelle normalité qui est dorénavant la nôtre ?

L’Artisanat se montre combatif dans la crise tout en étant confronté à de réelles difficultés

Quoi qu’il en soit, les chefs d’entreprises sont combatifs et innovatifs. Chaque crise est susceptible d’offrir de nouvelles chances et opportunités à ceux qui savent les saisir. Confronté à de nombreuses incertitudes, le Gouvernement a su prendre des mesures justes sur le plan sanitaire et économique. Mais l’épreuve est loin d’être terminée !

Appréhender la situation dans laquelle se trouve l’artisanat n’est pas une tâche facile. Le secteur n’est pas uniforme, mais se compose de différentes branches, et à l’intérieur des différentes branches, les difficultés rencontrées peuvent ne pas être les mêmes. Sur base des enquêtes menées par la Chambre des Métiers[1] et des retours reçus de la part de mes pairs, je suis en mesure d’illustrer la situation économique contrastée des artisans dans l’épreuve du coronavirus.

En tant qu’activité essentielle, l’alimentation artisanale a pu continuer à travailler pendant le confinement. Toutefois, les salons de consommation ont dû être fermés et les services traiteur ont subi et continuent à subir la disparition de « l’événementiel ». Des baisses du chiffre d’affaires dépassant les 80% pour les services traiteurs disent tout. Cette baisse s’explique aussi par la prolongation du télétravail, phénomène touchant également les bouchers et les boulangers-pâtissiers, mais à priori dans une moindre mesure que les traiteurs. L’annulation des fêtes de fins d’années en cascade laisse présager un mois de décembre en forte baisse pour la branche.

 

[1] Enquête de conjoncture et enquête Covid-19 sur www.cdm.lu

 

Pour les entreprises des « soins à la personne », comme les salons de beauté et de coiffure, la perte de chiffre d’affaires enregistrée durant le confinement est irrécupérable, ce qui engendre des problèmes de trésorerie chroniques. Depuis le déconfinement, la limitation du nombre maximal de clients pouvant être accueillis dans les salons pour des raisons sanitaires entraîne une perte de rendement et des coûts conséquents. Certains clients allongent le délai entre deux visites pour réaliser des économies, d’autres, par peur de s’infecter, évitent les salons, alors que les protocoles sanitaires y sont stricts.

Au niveau de la demande, le secteur automobile a subi une chute brutale des ventes durant le confinement en raison de la fermeture des salles d’exposition. La « reprise » constatée à l’heure actuelle s’explique essentiellement par un effet de rattrapage. Sur les huit premiers mois 2020, une réduction de 25% en termes de nouvelles immatriculations de voitures a été enregistrée. Beaucoup va maintenant dépendre du nombre de ventes réalisées d’ici la fin de l’année et du « Salon de l’Automobile 2021.

Parallèlement le secteur connaît un bouleversement structurel qui nécessite des réponses stratégiques. Dans quelle direction va s’orienter la politique européenne ? Et comment va se développer la demande de véhicules électriques, poussée par le Gouvernement ?

La branche des taxis est également lourdement impactée par la quasi-disparition de l’évènementiel et du tourisme d’affaires.

La construction a été confrontée à une perte généralisée de chiffre d’affaires durant le confinement. Ce secteur espère qu’une partie de la perte sera récupérable d’ici la fin de l’année en mettant les « bouchées doubles ». L’enquête de conjoncture relative au 2ème trimestre 2020 montre que le carnet de commandes était rempli sur 6 mois, sachant qu’une part importante des commandes a été signée avant le coronavirus.

A moyen terme, l’évolution du volume prévisionnelle de nouvelles commandes et la rentabilité sont une inconnue de taille. Est-ce que l’Etat et les communes vont maintenir les investissements prévus ? L’Etat a clairement répondu par l’affirmative. En revanche, au niveau des communes, les choses sont moins évidentes. Quant aux entreprises, beaucoup ont décidé de reporter voire abandonner des projets d’investissement, ce qui fait autant de travail en moins pour les artisans. Quelle sera l’évolution dans la construction des bâtiments administratifs ? Y-aura-t-il un effet « télétravail » sur le long terme, avec un impact sur les locations et donc in fine sur le nombre de nouvelles constructions, sont d’autres interrogations pour le moment sans réponses.

A cela s’ajoute une perte de rentabilité en raison des coûts liés au travail en mode Covid-19, que ce soit en rapport avec l’acquisition de matériel de protection ou avec le temps non-productif de mise en œuvre des mesures sanitaires engendrant une perte de productivité estimée en moyenne à +/-10%.

Pour un Plan de relance 2.0

Même si l’Artisanat est un secteur résistant à la crise, le secteur est sous tension, sachant que les moratoires des banques viennent à échéance et les charges reportées ont été/seront remboursées. Arrêter trop tôt les mesures de soutien serait contreproductif et anéantirait les efforts financiers consentis jusqu’à présent par le Gouvernement. Les entreprises ont besoin de perspectives à court et à moyen terme.

Un plan de relance 2.0, à l’attention des entreprises respectivement branches artisanales en grandes difficultés, dans le but de leur permettre de maintenir leur solvabilité et pallier les problèmes de liquidités, est indispensable.

Dans cette optique, la mise en place d’une aide directe pour coûts fixes, calculées proportionnellement aux pertes du chiffre d’affaires est certainement une piste à creuser. Par référence au modèle autrichien, un ensemble défini de frais fixes devrait pouvoir être éligible. D’aucuns vont sans doute dire que l’Etat a déjà fait beaucoup. C’est vrai. Mais d’un autre côté, l’on peut noter qu’au niveau des aides directes non remboursables et remboursables, seuls 34% des dépenses budgétisées ont effectivement été déboursées, de sorte qu’il devrait exister une certaine marge de manœuvre.

Depuis le début de la crise sanitaire, le chômage partiel a permis d’éviter le naufrage économique et social. Prolonger un régime de chômage partiel au-delà du 31 décembre 2020, pour les branches artisanales en grandes difficultés, devrait être une option à envisager.

Sur le plan sanitaire, la transmission du coronavirus en milieu professionnel est faible. Or, le nombre de mise en quarantaine sont en forte augmentation et perturbent l’organisation dans les entreprises. Ne serait-il pas envisageable, lors de l’identification d’un salarié isolé, testé positif avec infection à l’extérieur de l’entreprise, de privilégier une mise à l’écart des co-salariés « à faible risque », lesquels pourraient alors continuer à travailler en respectant des procédures sanitaires renforcées, à l’image de ce qui se fait actuellement en milieu scolaire ?

Le discours sur l’Etat de la Nation du Premier Ministre du 13 octobre serait une bonne occasion pour donner un signal fort aux entreprises. Car ce n’est que tous ensemble que nous allons pouvoir limiter les dégâts économiques et sociales et sortir la « tête haute » de l’épreuve que nous impose le coronavirus.

 

Tom Oberweis

Président de la Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg