Face au manque accru de main-d’œuvre, au déficit d’employabilité de bon nombre de demandeurs d’emploi en comparaison avec les besoins du marché du travail et aux lacunes du système d’enseignement, le développement de la formation (tant initiale que continue) ainsi que des compétences d’avenir constitue le défi futur principal du Luxembourg, notamment dans le contexte de l’implémentation de la « stratégie nationale des compétences » en préparation1 et de la publication prochaine de l’étude OCDE sur les « skills » au Luxembourg.
L’orientation : un élément déterminant de la formation initiale et continue
L'apprentissage tout au long de la vie est le facteur-clé permettant d’augmenter aussi bien l'employabilité des personnes tout au long de leur carrière que la compétitivité des entreprises. Dans ce contexte, le développement d’une approche de suivi des besoins des secteurs économiques à long terme en matière de compétences constituera un élément stratégique non négligeable, surtout pour l’Artisanat qui connaîtra une pénurie de main-d’œuvre. Ce point sera par conséquent déterminant aussi bien pour l’orientation initiale (public-cible « jeunes ») que pour celle tout au long de la vie professionnelle (public-cible « adultes »).
Vu les besoins futurs considérables de salariés qualifiés, il importera que le système d’enseignement national et plus spécifiquement la formation professionnelle génèrent à l’avenir plus de jeunes qualifiés intéressés par une carrière dans l’Artisanat. La mise à niveau des compétences en « formation initiale » (e.a. via processus curriculaire)2 jouera un rôle central dans ce contexte. Ceci devrait nécessairement aller de pair avec un renforcement de l’attractivité de l’Artisanat3 auprès des publics-cibles (jeunes, parents, enseignants, politiques, etc.).
L’orientation « par l’échec »4 pratiquée encore actuellement entraîne beaucoup de frustrations auprès des jeunes. Dès lors, une révision du processus d’orientation, permettant de prendre en compte les compétences techniques et manuelles des jeunes au même titre que leurs compétences en matière de langues et de mathématiques, sera de mise. Une orientation positive5 visant à mobiliser les talents et potentialités des jeunes tout en réduisant le risque de décrochage permettrait de passer d’une logique de « soustraction des lacunes » à celle d’« addition des forces ».
Couplée à une approche de conseil et d’accompagnement individuel au niveau du cycle inférieur de l’enseignement secondaire (pour les jeunes qui présentent des besoins spécifiques), l’offre de stages de courte durée donnerait une possibilité aux jeunes de découvrir les activités artisanales et un complément d’orientation positif vers la formation professionnelle. L’intégration de tests systématiques des aptitudes, examinant les connaissances et les compétences des élèves en classe de 5ème de l’enseignement secondaire général, via un outil comme le « Basic-Check »6, devrait être obligatoire et les résultats de ces tests devraient figurer en annexe des bulletins.
Il importerait aussi d’accroître à l’avenir la flexibilité du système en développant les passerelles et donc les possibilités de changer de filière de formation professionnelle. La conception de programmes de formation initiale multilingues (surtout francophones) constitue une autre priorité. Sachant que les étudiants et les parents ont signalé un manque d'informations sur les programmes disponibles, il importera de faciliter l’information aux intéressés, via des plateformes interactives (« point d’entrée unique »).
L’orientation vers les activités artisanales et le monde à l’extérieur de l’école devrait systématiquement intégrer l’enseignement fondamental. Actuellement, des projets-pilotes font découvrir aux élèves leur passion pour l'Artisanat par le biais de semaines thématiques7. Aussi, l’investissement complémentaire dans la recherche de méthodes didactiques alternatives soutiendrait la stratégie préventive de l’échec scolaire, stratégie à privilégier par rapport à un allongement de la scolarité obligatoire8.
Il serait intéressant d’explorer les options contenues dans les textes légaux actuels en matière de formation professionnelle afin d’envisager une mise à niveau des compétences du côté des salariés en vue d’acquérir les « skills » demandées via un nouveau modèle d’apprentissage « en cours d’emploi ». Le salarié pourrait ainsi rester sous contrat de travail et intégrer un apprentissage directement via son employeur.
Pour combler le « skills gap », une majorité d’entreprises artisanales proposent à leur personnel des formations de perfectionnement ciblées pour pallier au manque de compétences. Dans la mesure où des initiatives de formation continue sont profitables tant pour l’entreprise que pour les salariés, qui voient leur attractivité sur le marché du travail augmenter, les constats en termes de disparités en termes de compétences permettent d’agir pour faire face aux spécificités d’un monde professionnel qui change rapidement.
Le fait d’identifier clairement les principales compétences requises dans les métiers artisanaux pour les années à venir sera utile pour aider les décideurs publics et les instituts de formation (sectoriels) dans la définition des programmes de formation professionnelle continue. Cette approche aidera également les demandeurs d’emploi et les futurs salariés dans leur choix de formation en se formant aux compétences valorisées dans les métiers en pénurie.
L’immigration : un réservoir potentiel de main-d’œuvre qualifiée à mobiliser de façon systématique
Il importe de souligner que jusqu’à présent le besoin pressant en main-d’œuvre de l’Artisanat a pu être satisfait grâce au flux constant d’immigrants et de frontaliers. Ces deux catégories resteront également à l’avenir les deux réservoirs principaux de main-d’œuvre du secteur artisanal, par référence à la devise de l’Artisanat : « Ce qui compte, ce n'est pas d'où l'on vient, mais où l'on veut aller. ». Rappelons au passage qu’en 2021, l’emploi dans l’Artisanat se composait comme suit : 54% de frontaliers, 33% de résidents étrangers et seulement 13% de résidents luxembourgeois.
Alors que les frontaliers doivent être mobilisés sur la base d’un « mix » d’avantages comparatifs économiques visant à renforcer l’attractivité du marché du travail du Luxembourg par rapport à ses voisins et surtout les autres composantes de la Grande Région, la question de la mobilisation renforcée du réservoir de main-d’œuvre que représente l’immigration, plus particulièrement de personnes qualifiées en provenance de pays tiers, reste posée.
Sachant que le système de l’éducation nationale ne pourra pas à lui seul produire un nombre suffisant de personnes qualifiés afin de couvrir les besoins en main-d’œuvre de l’Artisanat, notamment en vue du remplacement des 20.000 salariés qui vont prendre leur retraite dans les dix ans à venir, la politique de l’immigration devra évoluer. Ainsi, les procédures d’immigration pour les salariés qualifiés (de pays tiers), voire de leurs familles, et les entreprises souhaitant les recruter sont à simplifier (réduction des étapes et des délais). Cette simplification serait à envisager sur base d’un inventaire complet à réaliser quant aux procédures concernées. Grâce à l’utilisation de procédures digitales, les démarches pourraient être rendues plus rapides et transparentes pour l’ensemble des parties concernées. Un soutien administratif devrait par ailleurs être accordé aux entreprises qui recrutent des salariés de pays tiers.
Par référence à l’expérience vécue en Allemagne (voir encadré), pays qui a réformé et simplifié considérablement sa législation relative à l’immigration de salariés non universitaires issus de pays tiers, via la loi modifiée sur l'immigration de travailleurs qualifiés (« Fachkräfteeinwanderungsgesetz »)9, le Luxembourg devrait envisager rapidement une abolition du « test marché10 » pour tous les métiers et non seulement pour les « métiers en pénurie11 », comme discuté actuellement au niveau gouvernemental.
Bonne pratique en Allemagne Les travailleurs qualifiés pourront venir en Allemagne pour chercher un emploi sur la base d’un permis de séjour d'une durée maximale de six mois. Une période d'essai allant jusqu'à dix heures par semaine peut être effectuée auprès d’un employeur qui peut par conséquent voir s’il peut travailler avec la personne intéressée. Les employeurs allemands peuvent engager une procédure accélérée auprès du service des étrangers afin d'écourter sensiblement la durée de la procédure administrative pour la délivrance d'un visa. Si toutes les conditions sont respectées (e.a. vérification de la qualification), une autorisation préalable est émise permettant au travailleur qualifié de fixer un rendez- vous dans les trois semaines auprès de la mission diplomatique en vue de la demande de visa. Une décision est en principe prise dans les trois semaines suivant la demande de visa déposée. Cette procédure accélérée inclut le conjoint ainsi que les enfants mineurs si la demande de visa est faite simultanément. |
Une telle modernisation des dispositions légales et des procédures, suivie d’un soutien du secteur privé dans la construction de logements pour les salariés ainsi que de mesures d’intégration poussées, renforcerait l’économie en général et l’Artisanat en particulier, considéré comme un « vecteur d’intégration » important au niveau national.
« Attirer » les talents nationaux et étrangers par une approche proactive
Etant donné l’analyse récurrente12 des besoins en compétences sectorielles de l’Artisanat, il sera primordial d’observer l’évolution globale des compétences demandées par le biais d’une approche concertée. Par conséquent, une « stratégie nationale d’attraction des talents par secteur » devrait planifier (pro-)activement la couverture des futurs besoins de main-d’œuvre, sur base d’une feuille de route sectorielle comprenant des indicateurs mesurables de performance. Vu l’importance de l’aspect « veille » au niveau de l’évolution des compétences demandées, l’Artisanat plaide en faveur d’un « observatoire » national des compétences, comme relevé dans ses propositions passées adressées au Gouvernement13.
A l’approche des élections de 2023, la Chambre des Métiers a formulé un catalogue de 30 propositions concrètes en faveur d’une politique future visant à renforcer l’attractivité de l’Artisanat et poser le pays sur des bases solides.
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Blog #1 ELECTIONS 2023 – #ZukunftHandwierk – Le futur est notre chantier
Save the date - Tables rondes politiques « Élections 2023 » - Chambre des Métiers
23.05.2023 à 17h00 – « Attractivité de l’Artisanat de demain »
28.06.2023 à 17h00 – « Environnement propice au développement socio-économique »
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1 https://gouvernement.lu/fr/actualites/toutes_actualites/communiques/2021/10-octobre/28-national-skills-strategy.html
2 https://www.script.lu/fr/activites/cellule-de-competence-pour-la-conception-curriculaire-de-la-formation-professionnelle
3 https://handwierk.lu/
4 https://www.cdm.lu/mediatheque/media/avis-sur-le-projet-de-budget-de-l-etat-concernant-l-exercice-2023
5 https://www.cdm.lu/mediatheque/media/obligation-scolaire
6 https://www.basic-check.lu/
7 https://www.handsup.lu/fr/perspektiv-handwierk/activites/decouvrez-la-passion-pour-l-artisanat-pendant-la-semaine-thematique-hallo-handwierk
8 https://www.cdm.lu/mediatheque/media/obligation-scolaire
9 https://www.make-it-in-germany.com/de/visum-aufenthalt/fachkraefteeinwanderungsgesetz
10 https://adem.public.lu/fr/marche-emploi-luxembourg/travailler-luxembourg/travailleurs-etrangers/ressortissants-pays-tiers.html
11 https://liser.elsevierpure.com/en/publications/les-m%C3%A9tiers-en-p%C3%A9nurie-au-luxembourg-une-analyse-des-m%C3%A9tiers-nexi
12 https://www.cdm.lu/news/newsnew/news/communique-mutations-societales-et-technologiques-a-la-base-d-un-fort-besoin-en-main-d-oeuvre-dans-l-artisanat
13 https://www.cdm.lu/mediatheque/media/besoin-en-main-d-oeuvre-dans-l-artisanat