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De l'or dans les mains...

visage de l'artisanat 1

Yves Brever est un jeune maître-bijoutier qui a repris l’entreprise créée par ses parents en 1982. L’enseigne qui propose aujourd’hui une vaste palette de bijoux stylés en or blanc ou en or jaune sertis de pierres précieuses brille élégamment au coeur de la Grand-Rue de Clervaux. Rencontre avec un passionné de cette activité artisanale aux facettes souvent méconnues du grand public. 

Comment vous présenteriez-vous brièvement, Monsieur Brever ?

Je dirais simplement que je suis un fils de maître-bijoutier, et qu’en ce sens j’ai côtoyé l’univers des pierres précieuses, de l’or et des bijoux depuis ma plus tendre enfance. La bijouterie que j’ai reprise existe à Clervaux depuis 36 ans. Mon père, qui l’a créée, était le seul artisan qui y travaillait, et ma mère tenait le magasin avec lui. Aujourd’hui, mon père est décédé mais ma mère est toujours dans l’entreprise, à mes côtés.

Vous avez toujours travaillé avec votre père ?

Non, pas toujours. J’ai débuté en faisant mes études à Namur, en Belgique, études que j’ai terminées en 2002. J’ai ensuite accompli les trois années nécessaires à l’obtention de mon Brevet de Maîtrise au Luxembourg. J’ai d’abord travaillé chez un horloger, où j’étais notamment en charge de la réparation des bijoux. Je devais me débrouiller pour que les tâches soient correctement accomplies, et j’avoue que je ramenais parfois des pièces à la maison, pour que mon père me montre comment faire et me transfère le savoir-faire nécessaire.

L’école, c’est bien parce que cela nous inculque les bases. Mais la réalité sur le terrain est très différente. Le métier s’apprend véritablement dans un atelier. J’ai intégré la bijouterie familiale par la suite, et je la dirige aujourd’hui.

 

Yves Brever 4  

Photo:Marion Dessard

 

Votre métier fait partie de ceux dont on a tous entendu parler mais dont on ne sait pas exactement en quoi il consiste…

Vous avez raison sur ce point : environ 95% des gens n’ont jamais vu un atelier de bijoutier. Et ils pourraient être surpris car l’atelier en soi n’est en général pas très grand. Me s'y trouvent d’ailleurs que peu de machines.

Dans l’exercice de mon métier, la première chose consiste à réaliser un alliage de l’or, c’est-à-dire unir à l’or un ou plusieurs autres métaux. En effet, l’or pur est de l’or 24 carats, le carat permettant de mesurer la pureté des métaux précieux. Or, il est trop difficile de travailler l’or pur ; c’est la raison pour laquelle on n’en met jamais dans les bijoux. On opère alors un alliage pour le manipuler plus facilement et diminuer les carats à 18, 14 ou 8.

L’or sous forme liquide doit ensuite être mis à plat, puis mis en forme, pour qu’il ressemble à un bijou. Ceci nécessite des opérations de soudure, de sciage, de pliage, de forage et enfin de sertissage, lorsque des pierres précieuses sont placées sur le bijou. 

Vos réalisations sont toutes des créations issues de votre imagination ?

Je dirais que cela dépend. Parfois, le client souhaite que je confectionne un bijou qui figure sur une photo. Il a donc déjà une idée précise sur la pièce à créer, et je pars alors sur ce modèle.

Mais il est également possible que le client apporte du vieil or, et qu’il me demande de le transformer pour qu’il soit plus « actuel ». Je fais alors appel à mon imagination tout en mettant à disposition du client des photos de créations que j’ai déjà réalisées, pour lui fournir de l’inspiration, et nous discutons ensemble pour aboutir à quelque chose qui lui plaît.

Je dessine, je colorie, la personne réfléchit, revient, on modifie l’idée de départ jusqu’à ce que l’on parvienne au dessin d’une pièce qui lui convient parfaitement. Il est possible que l’on parte sur un bijou sans pierre au départ, et qu’il en soit serti de plusieurs à la fin des discussions.

Une fois l’idée arrêtée, combien de temps vous faut-il pour donner vie à la création ?

Là encore, cela va dépendre du type de bijou dont on parle. Cela peut aller d’une heure à dix heures, sachant que des pauses sont nécessaires en fonction des étapes de la création. Aussi, s’il faut monter des pierres, cela prend davantage de temps que si l’on crée une alliance.

Vous savez, on pense toujours que le bijoutier sait tout faire. Il faut néanmoins nuancer ce propos : il existe des spécialisations. Sertisseur est un métier à part entière, de même qu’horloger, par exemple. Je ne répare personnellement pas de montre mais confie ce type de travaux à un de mes collègues de la profession, dont c’est la spécialité.

Les bagues constituent l’essentiel de vos réalisations ?

Ce sont effectivement des pièces que je confectionne souvent, mais je réalise également des pendentifs ou des boucles d’oreilles. Pour les bracelets et les colliers, c’est un peu différent : je les répare plus que je ne les crée.

Je dois souligner que les demandes sont parfois originales et surprenantes. On m’a par exemple récemment demandé de sertir les contours d’une ancienne pièce de monnaie en or. Le travail était très intéressant mais aussi très compliqué puisqu’il ne fallait pas toucher à la pièce en elle-même, sous peine qu’elle ne perde de la valeur.

On me demande également d’agrandir ou de rétrécir des bagues, qui peuvent être anciennes, ou le souvenir de générations précédentes. Leur valeur émotionnelle est souvent aussi importante que leur valeur vénale. Mon travail est donc très minutieux.

 

Yves Brever 3  

Photo:Marion Dessard

 

Et lors des fêtes de fin d’année, est-ce que vous constatez davantage de demandes de créations ?

Oui, c’est une période où je confectionne beaucoup de nouvelles pièces, parce que les clients souhaitent souvent offrir quelque chose de très spécifique et de très particulier pour Noël.

Après, je dois dire qu’il y a aussi des personnes qui désirent que soient opérées des transformations d’envergure sur leurs bijoux. Il est évidemment possible que je le fasse, mais il m’est déjà arrivé de refuser. Non pas parce que je n’y arrivais pas, mais parce qu’en tant que bijoutier, j’ai « l’oeil », et que j’arrive à discerner le travail qui a été réalisé sur un bijou.

Si la pièce est très belle, très bien sertie, travaillée longuement et de manière originale, je ne la transforme pas. Je respecte le travail accompli par mes homologues et ce même si ces pièces ne plaisent pas ou plus au client potentiel qui pousse la porte de ma boutique.
 

 


LE COUP DE FIERTE

Je ressens de la fierté dans les moments où, lorsque l’on me demande de travailler sur une pièce, je sais dès l’instant où j’accepte le défi que ce sera très difficile.

Parce qu’il arrive parfois que je passe quatre heures sur un bijou et que rien ne soit encore visible à l’oeil nu après que j’ai déjà investi tout ce temps.

Alors, lorsqu’après dix ou douze heures de travail, j’arrive à mes fins, que le bijou me plaît et que je sais qu’il plaira certainement au client, je suis vraiment très fier. Le travail que j’ai investi est alors à la hauteur du résultat obtenu. 


 

Est-ce que vous sauriez définir ce qui vous plaît le plus, dans votre métier ?

Sans hésiter : le fait que tout soit toujours différent. Tous les jours, je vois et je travaille quelque chose de nouveau.

Chaque client est particulier, chaque client a ses propres goûts, ses propres préférences de pierres et de couleurs. Et en fonction des uns et des autres, il faut s’adapter. Je trouve cela passionnant.

 

Yves Brever 6  

Photo:Marion Dessard

 

Que diriez-vous aux jeunes quoi souhaiteraient s’orienter vers votre métier ?

Je leur dirais qu’il faut avant tout qu’ils aiment la matière en elle-même, l’or, les métaux, mais aussi et surtout qu’ils aient bien conscience des tenants et des aboutissants du métier.

En effet, être bijoutier, ce n’est pas vendre des bijoux, comme on le pense ou on l’imagine souvent et à tort. Être bijoutier, c’est créer des bijoux, leur donner ou leur redonner vie. Et on ne devient pas bijoutier si facilement, cela ne s’apprend pas du jour au lendemain, il s’agit véritablement d’un travail de longue haleine.

Vous savez, j’ai fait cinq années d’études, je travaille depuis seize ans déjà et je ne suis pas encore sûr de savoir tout faire. Chaque jour, le bijoutier apprend quelque chose de nouveau. La forme, la matière, la taille de la pierre, sa couleur initiale, sa couleur à la chauffe, tout est surprenant. Et ce que je trouve encore plus surprenant, c’est que ce métier artisanal n’a pas changé. Il y a 70 ans, on exerçait le métier de la même manière : avec peu d’outils, et beaucoup de dextérité.

Je dirais également aux jeunes qu’il est nécessaire qu’ils aient une certaine fibre artistique, de l’originalité, de la créativité, de l’adaptabilité mais aussi de la patience, de l’endurance, de la persévérance.

Mais que si la passion les anime, l’exercice du métier devrait être facilement possible et épanouissant. Il offre des tas de possibilités, dont celle de voir les yeux des clients briller lorsqu’on leur remet l’écrin qui contient leur bijou, souvent après quelques semaines d’attente. Ils ont su être patients, ou ont été impatients, peu importe : dans tous les cas, percevoir cette petite étincelle dans leurs regards vaut parfois autant que tout l’or du monde. 

 


Propos recueillis en décembre 2018
par Sabrina Funk, Secrétaire Général