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Le détail dans l'image...

Visages de l'artisanat - Julie Pironet

Bricoleuse hors pair, Julie PIRONET est captivée depuis sa plus tendre enfance par le fait de pouvoir donner de la profondeur aux personnages de théâtre et de cinéma. Si elle a le souci du détail, c’est sur les lieux de tournage qu’elle exerce sa passion. Rencontre avec cette jeune accessoiriste, régisseuse d’extérieur et réalisatrice de décors.

Qui êtes-vous, Julie Pironet ?

Je suis une architecte d’intérieur qui a toujours été intéressée par le théâtre et par le cinéma. Ce qui me passionne dans ces deux médias, c’est le potentiel de leur capacité à délivrer un message aux spectateurs au fil d’une histoire. Néanmoins, d’aussi loin que je m’en souvienne, le cinéma m’était toujours apparu comme quelque chose d’intouchable et d’inaccessible. Alors lorsqu’un jour, j’ai découvert qu’il existait une spécialisation scénographie proposée pour la dernière partie de mon master en architecture d’intérieur, je n’ai pas hésité.

Est-ce qu’il y a eu un élément déclencheur qui vous a incité à suivre cette voie ?

Au cours de mon cursus, je suis allée en Angleterre dans le cadre du programme Erasmus. J’y ai rencontré une dame qui confectionnait des décors de théâtre. J’ai fait mon stage à ses côtés, et cela a été très formateur pour moi. A mon retour, j’ai choisi de redevenir stagiaire dans ce domaine, au Théâtre de Liège. Cela a, une fois de plus, éveillé mon intérêt pour le cinéma. Je me disais que si j’avais réussi à ouvrir la porte du Théâtre, je pouvais tout à fait tenter d’ouvrir celle du Cinéma. Je me suis alors « auto-challengée », me disant que si je trouvais un stage dans le Cinéma, alors je me lancerais dans cette voie. En allant à des avant-premières, j’ai rencontré des chefs décorateurs qui avaient réalisé leur propre film. J’ai accompli un stage auprès d’eux, et ils m’ont rappelé avant que je ne finisse mes études, d’abord pour un autre projet en tant qu’étudiante, puis après pour mon premier projet en tant qu’indépendante. Je leur dois en fait le lancement de ma carrière. Tout s’est enchaîné naturellement ensuite.

Julie Pironet  

Photo:Marion Dessard

Quelles tâches accomplissiez-vous, au cours de vos stages ?

Les travaux étaient assez diversifiés. Pour mes stages dans le théâtre, j’ai réalisé beaucoup de peintures, et assisté au mieux mes maîtres de stages tant dans la recherche et le test d’accessoires que dans la mise en place. Lors de mon stage dans le cinéma, je travaillais à l’intérieur d’un château, au sein duquel certaines pièces et décors étaient en train d’être reconstruits. Tous les corps de métiers y étaient présents. J’ai ainsi eu la chance de travailler avec des peintres ou avec des menuisiers, et la réunion de tous ces savoirs en un même lieu a été très plaisante et très formatrice pour moi. J’y ai appris à patiner des livres ou encore à imiter de la rouille. Ensuite, en tant que travail d’étudiante, on a commencé à me confier des charges administratives, je devais trouver des sponsors, sélectionner des fournisseurs. Ce n’était pas toujours uniquement artisanal, mais cela m’a permis de découvrir toutes les facettes du métier.               

En 2015, vous avez fini vos études, et vous vous êtes quasiment simultanément mise à votre compte. Le départ n’a-t-il pas été un peu brutal ?

Le rythme a effectivement été soutenu, car il a fallu entreprendre très rapidement toutes les démarches administratives pour enchaîner sur l’offre d’un poste dans mon troisième projet avec mes anciens maîtres de stages. Il s’agissait de la condition sine qua non pour qu’on me le confie. Je n’ai pas hésité, et je ne le regrette pas, même si je dois avouer que la première année a été compliquée. Je suis aujourd’hui très heureuse du fait qu’à la fin de ma seconde année d’établissement, on m’ait confié un poste sur une série, c’est-à-dire le tournage de plusieurs épisodes. Je constate ainsi que même s’il faut du temps pour se faire connaître et faire ses preuves, le bouche à oreilles se charge de faire son travail par la suite, dans ce milieu. Il faut s’accrocher et ne pas désespérer même si les projets mettent du temps à arriver.

Ce métier d’accessoiriste, en quoi consiste-t-il exactement ?

Il est difficile de donner une seule réponse à cette question. Je dirais que cela dépend des projets. Parfois, je suis la personne qui achète les accessoires. Dans le jargon, on appelle cela le « props buyer ». Je recherche les accessoires qui pourraient convenir pour le film, et je les amène sur le tournage. Par exemple, si on a besoin de faire apparaître des ordinateurs à l’écran, je dois essayer de trouver un sponsoring, ou une location, notamment pour limiter les coûts. Ce sont des tâches que la production peut en effet décider de ne pas accomplir elle-même. Aussi, c’est à moi qu’il appartient alors de vérifier que la marque accepte d’apparaître à l’image. Si je n’ai pas d’accord du sponsor à ce sujet, je dois m’arranger pour masquer la marque, ce qui me demande aussi de l’ingéniosité et du travail avant le tournage. En tant que « props buyer », on me confie également la recherche d’accessoires divers et variés, du fauteuil roulant d’un personnage qui devra avoir un sac compatible pour mettre une bouteille d’oxygène et des tuyaux, à différents types d’objets de forme, de taille et de couleur particulières. C’est toujours autant surprenant qu’intéressant !


Je dirais que c’est à chaque fois qu’une « mission impossible » nous tombe dessus et que nous avons su relever le défi. Nous vivons parfois des moments difficiles en équipe, mais lorsque nous avons vaincu la tempête, c’est un sentiment magique qui est ressenti par tout le monde et qui transparaît sur les visages de nos coéquipiers. On se dit à chaque fois « we did it! » et apparaît alors cette forme de fierté réciproque, celle d’avoir su être le bon outil pour l’équipe et celle de faire corps avec celle-ci.


Comment sont gérées vos dépenses pour les accessoires ? Vous disposez d’un budget?

Le chef décorateur du film me communique en effet son budget, ou m’indique au minimum si le budget est confortable ou au contraire très serré. Des avances me sont versées, et il m’appartient de m’organiser en fonction des choses que je dois trouver. Le travail est plus ou moins facile, en fonction de l’argent dont on dispose. Et parfois, il faut trouver l’impossible…

L’impossible ? Ce que vous dites est un peu surprenant…

Cela semble souvent impossible au point de vue du temps ou du budget. Je vais vous prendre le cas d’une série historique. Le tournage nécessite que l’on se procure des objets ou des accessoires que l’on ne trouve pas, ou plus, ou pour lesquels l’achat nous obligerait à dépenser une somme vraiment trop importante. Il est donc nécessaire de les fabriquer. Je me souviens du besoin d’une boîte de cigarettes d’époque. Il m’a fallu faire des recherches afin de pouvoir reproduire le paquet le plus fidèlement possible - en en retrouvant la forme exacte, les logos de la marque, les couleurs, les matières. Ceci est d’autant plus délicat si on nous prévient qu’il y aura un gros plan fait sur l’objet et qu’il ne sera pas un simple élément du décor. Mais vous savez, c’est là ce qui me plaît dans mon métier : le détail. Plus il y a de détails, plus il y aura de profondeur dans le personnage et plus l’histoire sera crédible. L’autre exemple classique dans le cinéma est la demande d’un sapin de Noël en plein été… Ce qui donne souvent lieu à d’amusants débats avec les commerçants !

Votre métier est donc celui de la constitution du détail dans le film…

Oui, c’est le rôle de l’accessoiriste - ou du régisseur d’extérieur - que je suis. Je travaille sur ce que nous appelons « l’accessoire de jeu », c’est-à-dire l’objet que l’acteur va utiliser dans l’action de la scène : fumer une cigarette, passer un appel téléphonique, briser un verre. Sont ainsi visés tous les objets avec lesquels l’acteur a une interaction réelle : un instrument, un briquet, un téléphone. Le rapport qu’il aura avec l’objet donnera des renseignements sur lui – surtout si celui-ci lui appartient, auquel cas il devra être judicieusement choisi. Parfois, il est nécessaire que je trouve plusieurs objets identiques, car ils peuvent être cassés lors de la brutalité de l’action ou sont à usage unique. J’essaie alors de trouver des locations pour limiter les coûts. Je me souviens d’un décor où les quatre scènes à jouer correspondaient toutes à un jour différent dans la chronologie de l’histoire. Nous avions décidé de placer un bouquet prisonnier dans un grand vase. Nous n’avions pas le temps pendant le tournage de recréer une composition florale différente à chaque fois à placer dans le même vase. J’avais donc emprunté quatre vases parfaitement identiques.

Julie Pironet 2 

Photo:Marion Dessard

Est-ce que cela signifie que votre présence sur le film doit être permanente ?

Cela dépend de la nature du tournage et de la nature de la scène. S’il y a par exemple une bagarre, et que tout le décor est bousculé, il est évident que des membres de l’équipe doivent être présents en renfort. On choisira alors le plus qualifié en fonction du type d’aide nécessaire, et il peut s’agir de moi si la difficulté est en lien avec l’objet que j’ai choisi ou fabriqué. En revanche, parfois, je reste uniquement sur les lieux pour m’assurer que tout va bien et cela est rarement inutile. J’essaie en principe d’être toujours présente au moment où le décor est livré, pour vérifier que tout correspond et qu’il n’y a pas de couac, mais cela ne préserve pas toujours des imprévus.

Des imprévus ? De quel type ? Vous avez des exemples ?

Je me souviens d’un tournage où un train était dans le décor. Le train était allemand et il fallait qu’il soit russe. J’ai eu connaissance du problème au moment où j’arrivais sur le décor. J’ai immédiatement rappelé les membres de l’équipe qui étaient disponibles et chacun a dû improviser dans son domaine. J’ai fabriqué et imprimé sur le champ des autocollants pour customiser l’engin. Il faut être flexible et savoir réagir dans l’urgence. J’ai également en mémoire une scène où nous avions créé un cocktail d’une couleur vraiment très spécifique et très particulière. On a tourné, et à chaque fois, l’acteur pris dans son jeu finissait complètement son verre, ce qui n’était pas prévu. Il m’a fallu concocter à nouveau le breuvage, à l’identique au niveau des couleurs, ce qui m’a donné un peu de fil à retordre. En effet, les quelques minutes d’une scène doivent être sans faux raccords, et ces quelques minutes sont parfois tournées sur des journées différentes, qui ne sont elles-mêmes pas fixées dans la même semaine. Vous comprendrez que ce qui peut apparaître comme un détail pour celui qui regarde la scène est en revanche très important pour les gens de notre métier. Etre en charge du décor, cela ne concerne donc pas uniquement les meubles et les infrastructures, cela va beaucoup plus loin.

Julie Pironet 3  

Photo:Marion Dessard

Vous disiez tout à l’heure que vous étiez « props buyer », celui qui achète les accessoires. Vous êtes donc aussi « props maker », puisqu’il vous arrive souvent de les fabriquer ?

C’est exactement cela. J’ai évoqué tout à l’heure avoir travaillé sur une série historique, pour laquelle j’ai dû confectionner une boîte de cigarettes. La création d’objet intervient lorsqu’on ne peut trouver un objet ou qu’on veut le personnaliser de manière très singulière. C’est cela qui me plaît vraiment. Il faut noter que cela révèle parfois une certaine complexité, notamment en fonction des périodes de l’histoire. Il faut que je sois sûre que les objets coïncident avec les époques et/ou avec les pays. De la même manière, un réalisateur souhaitait qu’apparaisse à l’écran un ancien annuaire téléphonique. L’historienne qui nous aidait avait trouvé dans un musée des pages qui constituaient l’intérieur de celui-ci. Or, il était plus récent que celui de l’époque de la scène. J’ai dû les modifier via Photoshop, pour faire apparaître l’adresse précise du personnage du film en question. Cela a présupposé de trouver la bonne topographie, de se renseigner sur les dénominations des lieux mais aussi d’avoir conscience qu’un annuaire d’époque est beaucoup moins épais qu’un annuaire actuel, vu la rareté des numéros.

Vous faites donc vos recherches, vous cherchez les matières premières dont vous avez besoin et vous faites marcher vos talents de conception pour aboutir à la fabrication des objets qui vous sont demandés. Est-ce que vous intervenez d’une autre manière, dans le cadre de votre fonction de « props maker » ?

Je dois dire que je fais également beaucoup de graphisme, c’est-à-dire que je crée ou reconstitue par ordinateur des images qui doivent apparaître dans le film. J’ai dû créer un passeport polonais de 1919. Nous en avions trouvé un original, mais fatalement, ni le nom ni les renseignements ne correspondaient au personnage. Il m’a fallu scanner l’original pour ensuite effacer numériquement les données et les remplacer par les bonnes ensuite. Ma tâche pour ce faire consistait également à trouver un papier similaire pour recréer le petit carnet. Et il est parfois véritablement très difficile de trouver du papier ancien. Evidemment, je trouve cela très passionnant, mais il faut savoir que mon travail est synonyme d’énormément d’investigations, de recherches, et que cela peut être assez stressant, car le temps s’écoule alors que l’on ne trouve pas toujours ce dont on a besoin. Il faut donc savoir innover et improviser.

Julie Pironet 4  

Photo:Marion Dessard

Si vous deviez lister les qualités indispensables à l’exercice de votre métier, lesquelles nommeriez-vous ?

Avant tout la sociabilité. Il est essentiel d’avoir un contact social très aisé avec les autres, car il faut pouvoir rapidement s’intégrer pour créer une équipe soudée et efficace. Chaque nouveau projet implique une nouvelle ambiance, et il faut savoir s’adapter. Il est aussi indispensable de savoir gérer son stress, et de savoir relativiser. On peut être amenés à vivre des moments très durs sur un tournage, notamment quand il doit absolument avoir lieu à cause des frais engagés au niveau des équipes, des acteurs et des costumes, mais que tout n’est pas absolument près au niveau des décors. Inversement, il faut être capable de gérer sa frustration, notamment lorsqu’on a décoré entièrement, avec finesse et détails, l’entièreté d’une pièce, et que seul un pan de mur apparaît finalement à l’écran…

Que diriez-vous aux jeunes qui pourraient s’intéresser à votre métier ?

Je leur dirais d’être patients, car on ne commence pas tout de suite par faire ce que l’on aime et qui est le plus appréciable dans ce métier. Au début, on fait souvent ce que personne ne veut faire. J’ai d’abord fait des tâches administratives, de la comptabilité, j’ai veillé au ravitaillement sur les tournages. Mais même la plus ridicule des tâches est nécessaire au bon déroulement des choses, car ne pas les accomplir ferait perdre un temps fou au reste de l’équipe. Et on sait que le temps est capital dans le cinéma. Ainsi, au fur et à mesure du temps et de l’expérience, la balance penche et le pourcentage de choses à accomplir et que l’on aime prend le dessus. Il faut simplement être conscient qu’il faut en passer par là. Mais tout cela en vaut la peine. Je donnerais le conseil de ne pas hésiter à aller à la rencontre des réalisateurs, d’être présents aux avant-premières, d’aller dans les maisons de production. Cela fonctionne bien mieux que d’envoyer des CV. Aussi, je voudrais souligner que c’est le fait que l’on ait tous des parcours différents qui fait la richesse de notre métier. Il y a des gens qui ont fait de l’histoire de l’art, d’autres du graphisme, d’autres qui aimaient simplement bricoler, et nous nous retrouvons tous à fouler le sol des lieux de tournages pour veiller aux détails des scènes. Il ne faut donc pas hésiter, quels que soient les horizons d’où l’on vient. Nos différences se mesureront dans les plus infimes détails. Et ce sont les détails qui font la différence.

 


Propos recueillis en mai 2018 
par Sabrina Funk, Secrétaire Général